Editorial: Simple bavure ou imbécillité ?

Désiré Ename

Par Désiré Ename

Jean Marc Ayrault a-t-il pensé ses mots ? sur Europe 1 vendredi dernier ce dernier a lâché : « Il y a la Cour constitutionnelle gabonaise qui s’est prononcée, il y a eu des recours, c’est ce que nous avions recommandé ; il reste toujours un doute. Maintenant il faut une solution politique de réconciliation, et c’est ce que la France redit et répètera encore. » Ah bon !

Sans rappeler des faits, le Journal du Dimanche (JDD 02/10/16) vient de mettre à nu des actes d’espionnage sur des observateurs de l’Union européenne de Bongo Ondimba Ali (BOA) qui selon Ayrault est « investi » et « installé ».
Dans les révélations du JDD, les observateurs de l’UE, écoutés par les services de renseignement gabonais, non seulement ont reconnu clairement que BOA avait perdu, mais ont également laissé entendre que les équipes de BOA étaient en train de chercher à tricher, en maquillant le fait. Qu’« ils ont gonflé les chiffres du Haut-Ogooué dans Wikipedia. » Dans cette province la population a subitement augmenté de 22000 personnes en une nuit. Les certitudes de la mission des observateurs de l’Union Européenne étaient sans fioritures. Elles ont amené Ayrault, en son temps, à exiger le recomptage des Voix et à conclure au rendu de la Cour Constitutionnelle, que celui-ci n’avait pas permis de « lever tous les doutes ». Autrement dit, elle a confirmé tout ce que les observateurs avaient relevé, même après avoir « anesthésié le discours » (JDD 02/10), à savoir que « l’élection n’était pas transparente ». Elle était entachée de fraudes et tout cela devant les écrans des médias internationaux.

C’est la raison pour laquelle on préfère croire que le propos de Jean Marc Ayrault fait partie de ses bavures diplomatiques habituelles. Sauf à y voir aussi à une imbécillité. Mais ce qu’il sera impossible aux Gabonais d’accepter c’est une démocratie a minima. Il n’y a pas une démocratie made in Africa et une made in Europa. Cela Ayrault ne l’imposera pas au peuple Gabonais. Il n’est pas possible aux Gabonais qui se sont exprimés le 27 août dernier de passer par pertes et profits l’expression de leurs suffrages. Ayrault ne fera admettre à aucun Gabonais épris de paix et de justice que les institutions peuvent être galvaudées pour le bénéfice du « plus fort », en l’occurrence BOA parce qu’il a le contrôle de la force militaire. Ce que le ministre français des Affaires étrangères demande aux Gabonais c’est de courber l’échine et faire allégeance à ce dernier par peur de la répression. Non. Cela n’est pas possible.

Sur un autre registre, les propos du ministre français montrent à suffisance que « Paris est ennuyé » comme le soulignait Christophe Barbier de l’Express (L’Editorial de C. Barbier 02/09). Ennuyé par l’imbroglio gabonais. Et que de s’affranchir des considérations stratégiques et des politiques de dessous de table, Paris se confine au discours du fait accompli. Les peuples ont évolué. Les aspirations de la jeunesse d’aujourd’hui sont loin de celles des jeunesses fraichement issues des indépendances et que Paris, pour consolider son pouvoir dans son pré carré, a tôt fait de plonger dans les archaïsmes des monopartismes. Un stade à rebours de l’évolution de l’humanité. Pour les jeunes d’aujourd’hui, « on ne peut plus transformer la démocratie en instrument de pacotille » dira Barbier.
Ayrault parle de Paix et de recherche de la « réconciliation ». Cela est très bien. Mais que propose-t-il ? La résignation à la loi du plus fort. Ce n’est certainement pas par cette voie que la Paix se rétablira au Gabon. Comment la paix ou la réconciliation peuvent-elles être possibles dans un climat de terreur et d’embrigadement ? Dans « Mes Mots » Charles M’Ba, ancien membre du Gouvernement précise que « la recherche et la référence à la justice conduisent, consacrent et établissent la paix. La paix et la justice constituent des préalables au progrès et au développement, et en même temps, elles se renforcent l’une l’autre ». Le Gabon des sept dernières années a été l’antithèse de cet argument. Pour une simple raison, le modèle de discours d’Ayrault a laissé les « tricheurs et les escrocs du pouvoir se maintenir », en commandant au peuple gabonais l’asservissement. Etait-il raisonnable de demander aux autorités françaises de négocier avec Brahim Abdeslam, Abdelhamid Abaaoud, Cherif et Saïd Kouachi, Foued Mohamed-Aggad, Ismaël Omar Mostefaï, Samy Amimour, Amedy Coulibaly après que ceux ci aient décimé la direction de Charlie Hebdo, et ensanglanté le Bataclan ? Ayrault demande au vainqueur des élections au Gabon de s’asseoir avec un homme qui a confisqué le pouvoir militaire et qui jette des forces de défense équipées de fusils d’assaut sur des manifestants aux mains nues, qui violent ses filles, assassinent ses enfants, et les terrorisent en faisant planer des avions de chasse à basse altitude au-dessus de leurs têtes.

Les Gabonais ne seront pas la monnaie d’échange de la stabilité au Sahel et encore moins prisonniers des arrangements Deby-Ledrian. Ce peuple n’est ni à vendre ni à acheter. C’est pour cela que les mots d’Ayrault n’engagent que lui. Qu’il sache en représentant de la diplomatie Française, que nous la savons très essoufflée et au demeurant intéressée. Ses élans ne freineront ni n’arrêteront le verdict populaire du 27 août dernier. La détermination du Gabonais de 2016 est autre.