Crise post-électorale : Le Parlement européen met en doute la légitimité de BOA comme président du Gabon

C’est ce qui ressort comme principale indication de la résolution votée à une très large majorité par les euro- députés, hier, sur la situation  de crise qui prévaut au Gabon. C’est un coup dur pour la junte qui essaie de s’accrocher malgré tout au pouvoir. Elle avait déployé un trésor d’énergie pour éviter une telle issue. A Nairobi, au Kenya, en décembre dernier, la junte avait dépêché une délégation de parlementaires put- schistes pour éviter que l’assemblée paritaire ACP- UE (Afrique Caraïbe Pacifique et Union européenne) ne prenne, déjà à cette époque, une résolution défavorable pour le Gabon. La partie européenne et les résistants avaient accusé le coup. Mais c’était pour mieux rebondir quelques mois plus tard au Parlement européen.
Les putschistes n’ont même pas essayé d’envoyer des lobbyistes défendre leur cause. Ils ont considéré qu’elle était indéfendable, comme la majorité des observateurs qui suivent ce processus depuis bientôt cinq mois. Les eurodéputés qui ont été mis en première ligne dans cette contesta- tion électorale, du fait d’avoir été conviés par BOA à observer la présidentielle d’août 2016 aux côtés de la mission européenne d’observation de l’élection (MOE), ne pouvaient pas renier la substance du rapport de la MOE qui leur est commun. Ils ont décidé de l’exprimer sans aucune ambigüité et avec force par le vote historique d’hier.
Le Parlement européen considère désormais que « les résultats officiels de l’élection présidentielle manquent de transparence et sont extrêmement douteux, ce qui a pour effet de remettre en cause la légitimité du président Bongo… » C’est une formulation diplomatique qui veut tout simplement dire que pour le Parlement européen, BOA n’a pas été élu. A par- tir de cet instant, c’est une porte ouverte vers la non- reconnaissance du régime de BOA par les États européens.

Les eurodéputés ne se sont pas limités à cette seule mise en cause de la légitimité de BOA. Ils ont dénoncé son comportement ambivalent, qui signe une convention avec une institution internationale sans respecter les engagements que lui-même a pris volontairement. Et les menaces et intimidations que cette mission européenne a subies au cours de sa présence au Gabon.

Les députés européens ont pris acte du « lancement d’un dialogue national » par BOA, mais pour tout de suite émettre des « réserves quant à la crédibilité et à la pertinence de tels processus ». Ce n’est que pure logique. Les eurodéputés considérant que BOA n’a aucune légitimité, il devient impossible pour un tel homme d’initier un processus de dialogue qui est censé réconcilier les Gabonais entre eux. Le fait que Jean Ping, « la principale figure de l’opposition », ne prenne pas part au processus de BOA lui enlève toute « crédibilité » aux yeux des députés européens. Ils l’ont exprimé dans ce texte.

Un autre élément de déflagration du régime se trouve dans cette résolution. Les eurodéputés « invitent instamment le gouvernement du Gabon à procéder à une reforme approfondie et rapide du cadre électoral, en tenant compte des recommandations formulées par la MOE et l’Union européenne, afin d’améliorer et de le rendre totale- ment transparent et crédible…. » C’est une pierre dans le jardin de Marie- Madeleine Mborantsuo, la présidente de la Cour constitutionnelle. À l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour constitutionnelle, elle a fixé à BOA, sa créature, les limites à ne pas franchir dans le cadre de son dialogue. Visiblement, les eurodéputés n’entendent pas voir cette institution demeurer dans la configuration actuelle pour régenter les prochaines élections au Gabon. A commencer par les législatives qui sont prévues dans moins de six mois.

Enfin, la résolution des eurodéputés « demande une enquête indépendante et objective sur les violences post-électorales et les allégations de violations graves des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et souligne la nécessité de veiller à ce que tous les responsables soient traduit en justice… » BOA, qui a planifié avec d’autres les tueries qui ont suivi la proclamation de l’élection présidentielle, sait désormais que l’Europe ne lais- sera pas ce forfait impuni. Le Parlement européen a-t- il les moyens de contraindre BOA à s’exécuter ? Il faut croire que oui, car il a enjoint au Conseil européen, à qui cette résolution sera transmise dans la suite du processus, « de lancer un processus de consultation au titre de l’article 96 de l’accord de Cotonou… » Le Conseil, sauf blocage par un pays membre au nom de la défense de ses intérêts, doit suivre les recommandations du Parlement européen. Le Traité européen de Lisbonne donne cette prérogative au Parlement européen. Le lancement de ce processus de consultation auquel le Parlement européen invite le Conseil européen est une étape obligée avant la prise des sanctions. « Le processus de consultation » consiste pour la partie qui accuse l’autre de violation des droits de l’homme, au sens de l’accord de Cotonou, de permettre à la partie mise en cause de fournir la preuve qu’aucun droit fondamental n’a été violé de son fait. Sans ces preuves, le Conseil n’a plus d’autre choix que d’enclencher les sanctions.

L’étau se resserre donc autour de BOA. Surtout que la France, son seul sou- tien au nom de la défense des intérêts des groupes françafricains Bolloré, Total, Bouygues, etc., a d’autres préoccupations avec une élection présidentielle de plus en plus imprévisible dans moins de trois mois. Pas si sûr qu’un pou- voir finissant prenne le risque de heurter ses partenaires européens.

Par Jean Michel Sylvain