Entretien avec Jean Rémy Yama, président du Syndicat des enseignants-chercheurs

Posté le 11 Mai 2017
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Protestant contre l’agression dont a été victime leur collègue, le Syndicat des enseignants- chercheurs, Snec, a décrété  un gèle de cours de trois jours dans les universités et grandes écoles de la capitale.

Echos du Nord : Les enseignants-chercheurs membres du Snec ont unanimement décidé, en assemblée générale, d’un gel de cours de trois jours, à  compter  du lundi 8 mai 2017. Quelles sont les motivations de ce mouvement d’humeur ? Le mot d’ordre est-il suivi ?

Jean Rémy Yama : La tenue de l’assemblée générale extraordinaire du Snec le jeudi 04 mai 2017 concernait deux points à examiner. Le premier était en rapport avec la tentative d’assassinat, au niveau d’Essassa, d’un enseignant de l’Université Omar BONGO, membre du Snec, par des hommes cagoulés et armés, circulant à bord d’un pick-up double cabine, et le second visait à informer la base de la décision de l’assemblée générale de la confédération syndicale Dynamique unitaire, à laquelle est affiliée le Snec, du nouveau mode de grève dans toute l’administration publique à partir du lundi 8 mai 2017, et l’obligation du Snec de l’entériner selon les textes confédéraux. C’est le premier point qui, en effet, a motivé le gel de cours de trois jours.

En réalité, le Snec tenait à réagir à la suite de l’enlèvement et la torture d’un de ses membres actifs, Mathurin Ovono Ebe, alors qu’il se rendait à l’Université pour dispenser un cours dans l’après-midi du 27 avril dernier. Les auteurs de cette opération sont des éléments des forces de sécurité, sérieusement armés, dissimulant leur visage sous des cagoules et des lunettes de soleil. Ils ont encagoulé de force, Mathurin Ovono Ebe, sans qu’il ne puisse connaître vers où ils l’emmenaient. Il s’est retrouvé par la suite dans une pièce sombre, dans laquelle ils lui ont enlevé la cagoule. Attaché sur une chaise, il a été torturé  par des hommes, toujours cagoulés, sans qu’on ne lui signifie les motifs de son interpellation et de ses supplices. Des hommes qui lui portaient des coups de poing violents, scarifiaient sa peau avec des lames et lui passaient  des flammes de bougie et de briquet sur tout le corps, avec l’intention de lui brûler les poils. C’est le lendemain, dans la nuit, voyant son état se dégrader, que ces hommes ont jeté Mathurin Ovono Ebe, presqu’inconscient, à l’endroit où ils l’ont enlevé.

Ainsi, pour protester contre cette barbarie récurrente et digne des méthodes d’un Etat totalitaire, le Snec interpelle, par ce gel des cours, la communauté nationale et internationale. Les enseignants de l’Enseignement supérieur sont protégés par la recommandation de l’Unesco concernant la condition du personnel enseignant de l’Enseignement supérieur qui stipule  à son article 26 : « Aucun enseignant du Supérieur ne devrait faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire, ni être soumis à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. En en cas de violation flagrante de leurs droits, les enseignants de l’Enseignement supérieur devraient pouvoir saisir les instances nationales, régionales ou internationales compétentes telles que les organisations du système des Nations unies, et les organisations représentant le personnel enseignant de l’Enseignement supérieur devrait les appuyer pleinement dans de telles circonstances ». De fait, nous sommes au Gabon devant une violation flagrante des droits de l’Homme par des détenteurs de la violence légale, c’est-à-dire les forces de sécurité et même de défense. Ce qui est inquiétant pour notre jeune démocratie. Et, le Snec a le droit de réagir et de défendre Mathurin Ovono Ebe. Nous comptons ainsi alerter les instances internationales.

 

  Echos du Nord : Vraisemblablement, la junte vous (Snec) a dans son viseur. D’abord Patrice Moundounga Mouity (UOB), agressé l’année dernière  pour ses publications par des éléments de la Garde Républicaine. Aujourd’hui, c’est Mathurin Ovono Ebe, deuxième enseignant-chercheur qui est victime de la barbarie de la junte. Au-delà de l’action syndicale exprimée par cet arrêt de cours, que prépare le Snec ?

Jean Rémy Yama : Le Snec comptait organiser une marche pacifique ce mercredi 10 mai, de l’UOB jusqu’à la Primature, pour mettre en garde l’exécutif face à toutes ses dérives. Un courrier a été adressé justement au Ministre de l’Intérieur pour avoir l’autorisation de procéder à cette marche et bénéficier d’un cordon de sécurité des forces de police afin de garantir la protection des manifestants. Grande a été notre surprise de recevoir le mardi 9 mai courant un courrier du Ministre de l’Intérieur refusant la tenue de cette manifestation qu’il justifie par des risques de trouble à l’ordre public.

Vous vous imaginez notre déception face à un comportement de ce genre, car il faut le dire, le Ministre s’estime incapable de garantir l’ordre public et la sécurité d’une marche pacifique, alors que des éléments des forces de sécurité et de défense brillent par des comportements de grands suspects. En effet, Mathurin Ovono Ebe est le deuxième universitaire en moins de quatre ans à être agressé, sans qu’une enquête n’ait été ouverte. Au fond, les universitaires membres et sympathisants du Snec dérangent, parce qu’ils dénoncent les incohérences et les errements de la gouvernance publique au Gabon, parce qu’ils ont décidé de porter le flambeau de ce combat digne qu’est la défense de l’Etat de droit et de la démocratie.

Echos du Nord : Certains étudiants n’hésitent pas à condamner ce mouvement d’humeur. Pour ces derniers, ce mouvement ne pourrait  se  justifier du fait que l’agression  de  l’enseignant  n’a  visiblement  aucun lien avec l’Université, mais plutôt avec son activisme. Que répondez-vous à cela ?

Jean Rémy Yama : Le Snec n’a pas à répondre du point de vue des étudiants dont certains ne maîtrisent pas les enjeux de la liberté d’opinion, d’expression et d’adhésion à toute forme d’association. A chaque fois qu’un universitaire sera agressé, le Snec réagira comme il se doit. L’université, c’est l’universalité, c’est la défense des valeurs de dignité humaine. Les étudiants doivent le comprendre, car quand leurs droits sont bafoués, en tant qu’étudiant ou citoyen, ils réagissent souvent. Et c’est normal ! Nous en faisons autant.

 

Propos recueillis par Nedjma leMonde

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