
La chronique politique de Meboon Môôn Meba Ondo, parue en kiosques le lundi 18 octobre 2021 dans votre journal Echos du Nord.
Libreville, le 21 octobre 2021 | Initialement prévu pour ce 11 octobre, le procès des auteurs présumés de l’assassinat de l’ancien président burkinabé Thomas Sankara (du 4 août 1983 au coup d’Etat du 15 octobre 1987) a été renvoyé par le président du tribunal militaire de Ouagadougou, Urbain Méda, au 25 octobre, à la suite de la requête des avocats de la défense.
Un fait particulier s’agissant dudit procès crée cependant la polémique au pays des hommes intègres. Les avocats de la partie civile ont en effet exigé que le procès soit enregistré et diffusé. Preuve de ce que les sociétés civiles africaines sont davantage convaincues du rôle décisif à jouer par le format vidéo dans la production de la preuve et l’archivage au service de l’histoire. Une « mémoire vivante » dont ne pourraient plus se passer les citoyens du monde actuel et futur, tous membres de la génération du tout numérique.
Malheureusement, la justice militaire burkinabé a, à tort, rejeté cette exigence. Ce qui n’a pas manqué de susciter de fortes déceptions au sein de l’opinion publique.
La preuve vidéo : une exigence de notre époque
Si la justice et les avocats de la défense se sont cachés derrière des aspects partiels de la loi pour rejeter la requête sur l’enregistrement vidéo du procès de Thomas Sankara, ils ont tout aussi omis de consulter l’histoire et la jurisprudence internationale.
« Aux États-Unis, la plupart des procès sont filmés depuis 1959, et des chaînes de télévision se consacrent entièrement à leur retransmission en direct (…) Les avocats de la partie civile (pour ce procès de Thomas Sankara, Ndlr) avaient pourtant formulé une requête d’exception que la France ne renie pas lorsque les procès ont un caractère historique, comme ceux de Klaus Barbie, de Paul Touvier ou de Maurice Papon, qui donnèrent à voir les ressorts du déploiement de la peste nazie sur le sol français. L’historique dossier Sankara ne devrait-il pas, lui aussi, être gravé dans le marbre numérique ? » s’interrogeaient nos confrères de « Jeune Afrique » le 12 octobre, dans un article intitulé « Caméra non grata au procès Sankara ».
Appelé à donner son avis sur ce rejet de l’enregistrement vidéo, Alouna Traoré, rescapé de ce coup d’Etat du 15 octobre 1987, a affirmé le 11 octobre sur « Le Faso TV » : « Je suis au regret de dire que le tribunal est d’une autre époque. Ils sont dépassés par le temps. C’est anti-progrès. (…) Je suis un peu scandalisé. La vérité veut qu’on soit transparent. Que tout ce qui est à dire soit dit. Le procès devait avoir valeur éducative. De toute façon, comme au football, il y a la VAR (Assistance vidéo à l’arbitrage). On doit arrêter un match pour regarder et, donc, dater pour l’histoire les archives. Mais, comme ils refusent le progrès, [ce progrès] va les rattraper. »
Au Gabon, l’exigence d’un enregistrement vidéo pour sécuriser les résultats sortis des urnes s’impose…
Ce débat sur l’enregistrement du procès de Thomas Sankara renforce l’idée au Gabon de la sécurisation des résultats des élections par l’introduction de l’enregistrement vidéo.
L’évolution technologique facilite en effet la production et la diffusion de contenus vidéo. Disons qu’un simple smartphone pourrait enregistrer, pour lecture ultérieure et sans le risque de la biaiser, une séquence vidéo allant du dépouillement des urnes à la lecture finale du procès-verbal contresigné par les membres du bureau de vote.
Pour ce faire, les institutions en charge des élections et les parties engagées dans le processus électoral doivent attribuer un numéro unique à chaque bureau de vote localisé aussi bien sur le territoire national qu’à l’extérieur. Afin que chacun des quelque 628 124 électeurs répartis dans 2 580 bureaux de vote — selon les chiffres du ministère de l’Intérieur de l’année 2016 — soit en mesure d’attribuer un identifiant unique à l’enregistrement vidéo.
Le président du bureau de vote sera tenu de veiller à la détention d’appareils mobiles-vidéo par tous ou une majorité des membres de son bureau, entre majorité, opposition, candidats indépendants et société civile.
Seront également exigées des sources d’énergie électrique et d’éclairage autonomes. A l’exemple des sources solaire d’éclairage et des batteries de recharge mobiles désormais disponibles à moindres coûts sur le marché.
Une surveillance vidéo totale, dès l’ouverture du bureau jusqu’à la fermeture, peut être envisagée en cas d’implication formelle du gouvernement, puisque ne nécessitant plus de gros moyens financiers. Cependant, la production d’un procès-verbal vidéo circonscrit aux phases de dépouillement et de lecture définitive du procès-verbal manuscrit par l’ensemble du bureau demeure la priorité.
A ce moment, et dès l’entame de l’enregistrement, le président du bureau doit lire de façon audible – en langue française – devant les caméras :
- L’heure d’ouverture et de fermeture de son bureau ; citer nommément les membres présents dudit bureau ;
- Donner la localisation géographique exacte et les références du numéro unique de son bureau. Ces informations doivent apparaître grandement visibles sur le tableau de dépouillement et, donc, dans le procès-verbal vidéo ;
- Signaler verbalement le début du dépouillement des urnes et procéder au décompte des bulletins ;
- Veiller à ce que la vidéo définitive soit disponible en autant d’exemplaires nécessaires pour l’archivage administratif mais aussi pour l’information libre et citoyenne de toute personne désireuse de (re)visualiser ledit processus de dépouillement des urnes et de délibération ;
- Afin que ce format soit utilisé en cas de litige ou de contestation devant la Cour constitutionnelle ;
- Le président et les autres membres du bureau de vote doivent être pénalement responsables en cas de litige pour tout acte volontaire entravant la sincérité des résultats du bureau dont ils ont la charge ;
- Le procès-verbal vidéo doit être rendu public. Publié sur une plateforme en ligne en temps réel ou en différé pour les zones d’accès internet difficile. La confrontation vidéo entre les différents membres du bureau doit être obligatoire et en appui au procès-verbal manuscrit en cas de litige devant la Cour constitutionnelle ;
- Le rendu du procès-verbal vidéo doit être conforme aux informations du procès-verbal manuscrit qui apparaît d’ailleurs dans film vidéo après signature par les membres du bureau de vote ;
- Toute anomalie entre les deux formats de procès-verbaux — manuscrit et vidéo — doit automatiquement entraîner l’annulation des résultats et la reprise de l’élection dans le bureau concerné ;
- Si les responsables du bureau de vote sont reconnus coupables de fraude ou de tout acte volontaire entraînant l’annulation des résultats, ils doivent être automatiquement traduits en justice et remplacés pour la reprise des opérations électorales du bureau concerné ;
- Les électeurs assistants au dépouillement et à la délibération des opérations de vote, sans être membres du bureau de vote, peuvent aussi être producteurs de vidéos depuis leurs zones extérieures d’observation en tant que témoin et électeur jouissant du droit de contestation des résultats d’un bureau de vote.
Des propositions qui restent à enrichir pour un prochain scrutin électoral sincère et transparent et capable de sécuriser le vote réel des Gabonais. En évitant des crises postélectorales violentes et des impostures au sommet de l’Etat, comme le soutiennent légitimement de nombreux Gabonais depuis la présidentielle de 1993.