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Gabon | Willy Ontsia : « ne pas reformer en profondeur l’économie reviendrait à condamner la nation »

Gabon | Willy Ontsia : « ne pas reformer en profondeur l’économie reviendrait à condamner la nation »

Deux questions à Willy Ontsia, analyste financier et ancien directeur général de la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC).

Comment faire rentrer l’économie gabonaise dans une nouvelle ère post-pétrole ? 

Sachant que le réchauffement climatique comporte des risques pour l’avenir de l’humanité et qu’il constitue également un frein à la croissance mondiale, les firmes internationales ont considérablement accru leurs investissements alloués à la recherche et au développement des énergies renouvelables en substitution aux énergies fossiles telles que le pétrole ou le gaz. 

Selon BloombergNEF (BNEF), les investisseurs mondiaux ont engagé en 2020 un montant record de 501 milliards américains (280.470 milliards F.cfa) dans les énergies renouvelables, le stockage de l’énergie, les infrastructures pour véhicules électriques, la production d’hydrogène, les pompes à chaleur et d’autres actifs à faible émission de carbone. Ces investissements ont augmenté de 9 % par rapport à l’année précédente.

Ces statistiques financières prouvent à suffisance que le monde est en pleine transition énergétique et cela constitue un risque monétaire et financier très important pour les pays pétroliers comme le Gabon. 

Dans la pratique, la mise en production prochaine de bus, de voitures et de trains fonctionnant à l’hydrogène, la croissance exponentielle de la vente de véhicules électriques, le développement des centrales solaires et parcs d’éoliennes, constituent des signaux fort qui expriment très clairement une évolution structurelle du mode de consommation énergétique vers des sources plus écologique, durable et renouvelable. 

De fait, ces investissements massifs dans les actifs de transition énergétique à faible carbone auront pour résultat une baisse de la demande mondiale des énergies fossiles telles que l’or noir avec pour conséquence à terme une baisse radicale du prix du baril de pétrole.

Par conséquent, cette évolution mondiale est un challenge pour l’économie gabonaise dont le modèle de croissance repose sur une économie de rente extravertie dominée par le secteur pétrolier qui représente, en moyenne pluriannuelle, 80% des exportations en valeur, 70% du PIB national et près de 60% du budget de l’Etat gabonais.

Notre pays le Gabon doit plus que jamais prendre conscience que les énergies fossiles telles que le pétrole sont en voie de marginalisation. De ce fait, le gouvernement gabonais doit urgemment définir un neo-modele de croissance qui impulse une nouvelle dynamique de développement plus inclusive, durable et résiliente.  

Pour assurer la transition de l’économie gabonaise vers le nouveau monde de l’après pétrole et mieux intégrer notre écosystème à l’économie mondiale en mutation énergétique et technologique, l’Etat gabonais doit prendre des mesures structurelles qui permettront aux pays d’opérer sa révolution agricole, industrielle et technologique en misant notamment sur un renforcement du capital humain.

Pour transformer en profondeur notre économie de rente en économie moderne et diversifiée, quelles sont les reformes pro-actives que l’Etat gabonais pourrait mettre en place ? 

De manière non-exhaustive et non-exclusives, dans le cadre d’un plan quinquennal, les reformes suivantes pourraient être mise en place.

Primo, par une loi organique, l’Etat gabonais doit tendre vers une transformation in situe de l’ensemble des matières premières extraites sur le territoire national avant exportation. Pour laisser aux opérateurs économiques le temps de s’adapter à cette nouvelle donne nécessaire pour garantir l’industrialisation du pays, ce changement doit s’opérer sur une durée de cinq ans. 

Secundo, le Gabon devrait mettre en place une bourse locale (ou sous-régionale) de matières premières ouverte a l’internationale pour l’achat et la vente de mines, de bois et pourquoi pas d’hydrocarbure notamment pour les ressources naturelles dont il(s) possède(nt) seul ou en commun (sous-région) une offre significative telle que le manganèse dont le Gabon fournit près de 25% de la production mondiale. Ce marché national ou sous régionale de négoce des matières premières permettra au Gabon et aux pays africains en général de tirer un meilleur prix de vente de leurs matières premières. 

Par ces deux procédés, le Gabon et les pays d’Afrique centrale pourraient multiplier par dix et plus leurs encours les revenus perçus sur l’exploitation des ressources naturelles extraites de leur sous-sol. Cette manne financière supplémentaire permettrait de financer les projets d’avenir lies à la transformation de nos économies.

Tertio, le Gabon doit tisser de nouveaux partenariats stratégiques avec la Chine, l’Inde ou l’Europe de l’est pour développer son agriculture dans le cadre d’une mécanisation de cette filière y inclus un transfert de technologie et une meilleure appropriation de nouvelles techniques agricoles. Ces nouvelles coopérations peuvent permettre au Gabon d’atteindre son indépendance alimentaire en quantité et en qualité voire même devenir un des principaux exportateurs agricoles de la sous-région. Dans le cadre de cette stratégie de développement agricole, le Gabon peut recourir à une immigration sélective dédiée pour renforcer ses besoins de main d’œuvre dans ce secteur. 

Quarto, le pays doit investir dans le capital humain pour accroitre le savoir-faire et l’expertise technique des gabonais sur la base d’un plan national de formation orientée vers les besoins réels de l’économie gabonaise en mutation. En sus, le gouvernement a aussi le devoir de promouvoir une classe d’hommes d’affaires autochtones sur la base de l’efficacité professionnelle. Pour se faire, l’Etat gabonais doit favoriser l’émergence « d’entreprises championnes nationales » capable de s’exporter en Afrique et dans le reste du monde. 

Quinto, le développement du pays ne peut se faire sans un rehaussement des  équipements et des infrastructures en termes d’aéroport, de route, de chemin de fer, de port maritime et fluvial,  de télécommunication, de structures sanitaires, etc.  

Sexto, le gouvernement doit absolument éradiquer la corruption qui gangrène l’administration publique et limite le développement socio-économique du Gabon. Pour se faire, en plus de la mise en place d’un tribunal spécial, la construction d’une nouvelle prison centrale réservée aux délinquants financiers serait un signal fort pour ceux qui assèchent régulièrement les caisses de l’Etat. 

Septimo, pour garantir l’entrée de l’économie gabonaise dans une nouvelle ère, le gouvernement gabonaise doit consacrer au moins 10% de son budget dans la « recherche et développement » afin de co-financement des projets innovants en partenariat public-privé  et ceci dans le secteur des nouvelles technologies de l’information, des énergies renouvelables, de la télécommunication, des transports et de l’automobile, du bâtiment et des travaux publiques, de l’agriculture durable, de l’industrie manufacturière, etc.   

Octavo, une reforme fiscalo-douanière systémique est nécessaire pour adapter le dispositif de taxation au nouveau modèle économique gabonais qui devrait être plus libéral et entrepreneurial pour mettre fin au monde d’avant c’est a dire celui de l’Etat providence. Cette reforme peut passer par la révision de certains impôts qui pèsent sur la production et la compétitivité des entreprises nationales.  

In fine, dans le contexte mondial de la transition énergétique en cours, ne pas reformer en profondeur l’économie gabonaise reviendrait à condamner la nation à un déclassement et une pauvreté croissante.

Fin.

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